27

 

Gwen fut surprise de trouver ses sœurs installées dans le canapé du salon. Elle fut encore plus surprise qu’elles ne se lèvent pas comme des ressorts pour se jeter sur elle.

Elle allait avoir besoin d’alliés… Elle balaya la pièce du regard.

Ashlyn, Danika et Cameo étaient installées à la table la plus éloignée. Deux d’entre elles se penchaient sur les listes jaunies de Cronos, tandis que la troisième tapait sur un clavier d’ordinateur. Le joli visage d’Ashlyn était crispé par la concentration. Danika était pâle et défaite. Cameo fronçait les sourcils.

William, Kane et Maddox n’étaient pas là et elle en déduisit qu’ils étaient partis en ville, à la recherche des chasseurs. Tout au bout de la salle, Aeron et Paris jouaient au billard tout en se disputant au sujet d’une femme. Leurs blessures paraissaient guéries, ils n’avaient plus que quelques ecchymoses. Du moins, en ce qui concernait Paris. Pour Aeron, c’était plus difficile à dire, avec ce corps couvert de tatouages.

— Je l’ai vue, dit Paris.

— Tu as pris tes rêves pour des réalités. Ou alors tu as eu une hallucination parce que tu consommes trop d’ambroisie, rétorqua Aeron. Quand nous sommes tombés, tu étais toujours conscient. Est-ce que tu l’as revue ?

— Non. Elle avait dû se cacher.

Mais Aeron n’était pas prêt à s’en laisser conter.

— Jusque-là, Paris, je t’ai écouté avec bienveillance, mais ça n’a rien donné de bon. Je vais donc me montrer plus ferme. Nous avons interrogé des chasseurs, ce matin. Aucun d’eux n’a entendu parler d’une Sienna. Ensuite tu as invoqué Cronos pour lui demander si elle était en vie, et qu’est-ce qu’il t’a répondu ?

Paris pâlit et fit claquer sa queue de billard contre une boule.

— Que son âme était au paradis. Qu’elle était morte.

Un petit démon au corps couvert d’écailles sauta brusquement sur les épaules d’Aeron et lui embrassa la joue. Aeron lui gratta le cou, comme on fait avec un chien. Mais il n’interrompit pas leur conversation.

— Tu penses que le roi des dieux t’aurait menti ?

— Oui.

— Et dans quel but ? Il a besoin de nous. Il réclame notre aide.

— Comment veux-tu que je le sache ? demanda Paris avec agacement. Il a menti, c’est tout.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Gwen en fixant d’un air ahuri la créature pendue au cou d’Aeron.

Sabin vint rejoindre Gwen et s’arrêta derrière elle sur le seuil de la porte. Elle se sentit aussitôt enveloppée de sa chaleur et oublia ce qui les séparait. Dès qu’il était près d’elle, il lui semblait que tout était possible entre eux.

— C’est Legion, expliqua-t-il. Un démon femelle, une amie. Aeron tient beaucoup à elle, je te conseille de l’accepter telle qu’elle est.

Cette chose était une femelle ?

Quelle importance, après tout ? Tu as des problèmes plus importants à régler.

Elle continua à passer en revue les occupants de la pièce. Adossé à un mur, Torin se tenait à l’écart du groupe, comme toujours. Il manipulait un petit écran qu’il ne quittait pas des yeux.

Elle savait qu’il serait de son côté. Elle avait remarqué qu’il plaçait ses compagnons au-dessus de tout.

— Tu vas continuer longtemps à faire comme si nous n’étions pas là ? demanda Kaia en s’étirant comme un chat.

Gwen aurait bien voulu, mais ce n’était pas possible.

— Bonjour, murmura-t-elle en croisant pour la première fois le regard de ses sœurs.

Elle les gratifia d’un timide sourire et les salua de la main. Elle avait passé la dernière heure à réfléchir à ce qu’elle leur dirait – à supposer qu’elles soient disposées à l’écouter. Mais il ne lui était rien venu à l’esprit. Des excuses n’auraient pas fait l’affaire, parce qu’elle ne regrettait pas de les avoir neutralisées en les enfermant dans le donjon.

Taliyah se leva, avec son habituelle expression indéchiffrable. Sabin s’avança aussitôt pour s’interposer.

— Je vais donc faire le premier pas, déclara Taliyah.

Elle marqua un temps de pause.

— Je suis fière de toi, dit-elle.

— Par… pardon ? demanda Gwen d’une voix chevrotante.

Elle ne s’était pas attendue à une cette déclaration. Du coup, elle contourna le large corps de Sabin qui la séparait de sa sœur. Taliyah était fière d’elle ? Elle n’en revenait pas.

— Tu as fait ton devoir, poursuivit Taliyah en tentant d’écarter Sabin. Tu t’es comportée en harpie.

Sabin ne bougea pas d’un millimètre, en dépit du regard que lui jetait Taliyah.

— Laisse-moi embrasser ma sœur, lui dit-elle sèchement.

— Pas question.

Gwen sentait ses épaules crispées, son dos raide.

— Sabin, murmura-t-elle.

— Pas question, répéta-t-il d’un air buté. C’est peut-être une ruse.

Puis il s’adressa à Taliyah.

— Tu ne la toucheras pas.

Bianka et Kaia se joignirent à Taliyah pour former un demi-cercle autour du guerrier. Elles auraient pu l’attaquer, mais, pour une raison que Gwen ne parvint pas à s’expliquer, elles ne le firent pas.

— Laisse-nous embrasser notre sœur, insista sèchement Kaia.

Elle ne le menaçait pas, et cela aussi relevait du prodige.

— Je t’en prie, ajouta-t-elle à contrecœur.

— Je t’en prie, Sabin, renchérit Gwen en caressant ses omoplates.

Ses narines frémirent, comme s’il humait les harpies pour deviner leurs intentions.

— Pas de coup fourré, prévint-il en s’écartant.

Il s’écarta pour leur laisser le passage et elles se précipitèrent aussitôt vers Gwen pour l’entourer et la prendre dans leurs bras.

— Je suis vraiment fière de toi.

— Je n’ai jamais vu harpie aussi vaillante.

— Je n’en reviens pas. Tu m’as fichu une bonne raclée.

Gwen en resta saisie.

— Vous n’êtes vraiment pas fâchées ?

— Non, répondit Kaia. Nous l’étions. Ce matin encore nous complotions pour t’enlever et nous venger de Sabin. Et puis nous l’avons vu te donner à boire et nous avons compris qu’il ne fallait pas vous séparer.

Gwen jeta un regard en coin à Sabin, dont les yeux sombres lançaient des éclairs. Il prétendait qu’il voulait rester près d’elle, qu’il était prêt à abandonner pour elle la lutte contre les chasseurs, qu’elle était devenue une priorité dans sa vie, qu’il avait confiance en elle, qu’il l’aimait.

Elle aurait tant voulu le croire… Pourtant, elle avait encore des doutes.

Elle avait prouvé sa valeur au combat, et il avait peut-être décidé de se rapprocher d’elle pour mieux l’utiliser, pour en faire un bon petit soldat, bien obéissant.

Elle aurait voulu être sûre que ses sentiments étaient totalement désintéressés. Mais comment savoir ?

Et même si c’était le cas, il finirait par lui reprocher d’être la fille de son pire ennemi. La haine qu’il ressentait pour les chasseurs et leur chef, Galen, s’étendrait un jour à elle. Ses compagnons lui feraient remarquer qu’il pactisait avec la fille de leur ennemi. Tout le monde ici se méfierait d’elle.

Et cette fois, ses doutes ne lui étaient pas inspirés par Crainte. Ils venaient bien d’elle, et elle ne savait pas comment s’en débarrasser, même si elle ne demandait qu’à se donner entièrement à Sabin.

Lors de la bataille de Budapest, quand elle avait aperçu Sabin couvert de sang et entouré d’ennemis, son cœur s’était arrêté de battre. Et cela, c’était bien la preuve qu’il comptait pour elle. Elle avait admiré son courage. N’importe quelle femme aurait rêvé d’avoir pour compagnon un homme aussi courageux. Mais elle n’avait pas suffisamment confiance en lui pour s’accrocher à ce rêve. Elle était devenue une combattante, mais il restait encore en elle un peu de la Gwen indécise et timorée…

— Ça va être dur de te quitter, dit Bianka en s’écartant d’elle.

— Eh bien…

À présent, elle allait devoir convaincre ses sœurs de rester, et ce ne serait pas une mince affaire.

— Rien ne vous oblige à me quitter pour l’instant, commença-t-elle prudemment. J’ai besoin de vous, ici. Je voulais justement vous demander de rester pour aider Torin à garder le château et les femmes.

— Et toi, où irais-tu ? demanda Taliyah en la lâchant à son tour.

Ses yeux pâles sondèrent le visage de Gwen. Elle n’avait pas accepté, mais pas refusé non plus.

— Je suis justement là pour vous l’expliquer. Pourrais-je avoir l’attention de tous ceux qui se trouvent dans cette pièce ?

Elle battit des mains jusqu’à ce que les regards convergent vers elle.

— Je vais partir à Chicago avec Sabin, à la recherche de ceux qui ont disparu. Nous n’avons plus de nouvelles d’eux et cela signifie qu’ils sont en difficulté.

Sabin battit des paupières. Elle savait qu’il aurait préféré attendre que Torin ait du nouveau, mais elle jugeait nécessaire de se mettre en route tout de suite, quitte à recevoir des informations en route.

— Je suis contente que tu aies pris cette décision, intervint Ashlyn. Je ne sais pas si on te l’a dit, mais je me suis rendue en ville ce matin, escortée par Aeron, Cameo et ta sœur Kaia. J’ai pu entendre des choses intéressantes.

Elle était sortie. Maddox n’allait pas être content…

— Tu n’aurais pas dû, lui fit-elle remarquer. Ton homme sera furieux.

Elle ne les avait pas vus souvent ensemble, mais elle avait remarqué qu’il la protégeait férocement.

Ashlyn agita la main comme pour signifier que le problème était réglé.

— Il est au courant, répondit-elle. Il ne pouvait pas m’accompagner, parce que les voix se taisent en sa présence. Il a donc accepté de me laisser partir sous bonne garde. De toute façon, il savait que je serais sortie quand même, dès qu’il aurait eu le dos tourné. Une fois sur place, j’ai appris que la plupart des chasseurs quittaient Budapest pour rejoindre Chicago. Ils ne veulent pas rester ici parce qu’ils ont peur de toi, Gwen.

Les chasseurs avaient peur d’elle ? Elle en fut flattée. Dans les catacombes de la pyramide, ils n’avaient pas osé l’approcher, mais à l’époque, elle n’avait rien pu faire contre eux. À présent, elle n’était plus réduite à l’impuissance. Elle ne put s’empêcher de sourire. Quant à Sabin, il avait le visage transfiguré de fierté.

En le voyant ainsi, elle frissonna. Quand il posait sur elle ce regard heureux et gourmand, elle n’était pas loin de croire qu’il l’aimait vraiment et qu’il ferait n’importe quoi pour elle.

« Concentre-toi sur la réunion. »

— Et les prisonniers ? demanda-t-elle.

— Ils sont toujours dans le donjon, répondit Paris en s’appuyant sur sa queue de billard comme sur une canne.

Elle le trouva plus pâle que de coutume et s’inquiéta des cernes bleus qui soulignaient ses yeux.

— Je me suis occupé d’eux, avec Aeron.

— J’ai aidé, intervint Legion.

Ils s’étaient occupés d’eux… Cela signifiait qu’ils les avaient torturés. Est-ce que Sabin avait aussi participé à l’interrogatoire ? Elle savait qu’il y prenait un certain plaisir.

— Les enfants…

— Je t’ai déjà dit que les enfants avaient été séparés des autres prisonniers et installés dans un endroit confortable, intervint Sabin. Ils sont tellement effrayés qu’ils n’ont pas tenté d’utiliser leurs pouvoirs contre nous. Du moins pour le moment. Mais les adultes finiront par nous cracher ce qu’ils savent, ne t’en fais pas pour ça.

Paris acquiesça d’un air déterminé.

— Je m’occuperai d’eux dès que nous rentrerons de Chicago. Parce que je pars avec vous, bien entendu.

Sabin et Aeron échangèrent un regard appuyé.

— Pas question, objecta Sabin. Tu restes ici. Il faut des hommes pour protéger le château. Nous ignorons encore combien il reste de chasseurs en ville.

— De plus, Torin a repéré Galen dans Budapest, intervint Cameo. Il projette peut-être d’attaquer le château.

Sabin vint se placer au côté de Gwen et la prit fermement par la taille. Elle ne protesta pas. Si son esprit nourrissait des doutes à son sujet, son corps, lui, n’en avait aucun. Ses effluves citronnés lui emplirent les narines, une drogue à laquelle elle commençait à s’accoutumer.

— En ce qui te concerne, Paris, il y a un petit problème, reprit Sabin. Ton addiction mettrait tout le monde en danger. Tu dois rester ici et en profiter pour te désintoxiquer.

Paris ouvrit la bouche pour protester.

— Torin s’occupera des modalités du voyage, coupa Sabin, tout en caressant discrètement le bras de Gwen.

— Vous prendrez un vol régulier, expliqua Torin. Les autres sont partis avec notre jet privé, je vous le rappelle.

— Mais on ne nous laissera jamais embarquer avec nos armes ! protesta Gwen.

— J’ai le moyen d’arranger ça, déclara Sabin en lui embrassant la tempe. Crois-moi. Crainte s’occupera de tout.

— Ramenez-nous Reyes et les autres sains et saufs, supplia Danika en joignant les mains en prière. Je vous en prie…

— Oh oui, s’il vous plaît ! lança en écho Ashlyn.

— Et n’oubliez pas Anya, renchérit Kaia. Je suis sûre qu’elle a dû mettre une belle pagaille là-bas.

— Je ferai de mon mieux, promit Gwen.

Elle voulait réussir et ramener tout le monde sain et sauf, de toute son âme… Mais cela ne suffirait peut-être pas.

 

* * *

 

— Explique-moi donc ce qu’une déesse fricote avec un démon…

Anya avait devant elle Galen, démon de l’Espoir, l’ennemi juré de Lucien. Il occupait une extrémité de sa nouvelle prison, et elle l’autre. L’arrondi de ses longues ailes blanches dépassait de ses épaules. Il avait des yeux bleus comme un ciel d’été, mais quand on y regardait de plus près, on y distinguait de légers nuages. Ces yeux là paraissaient faits pour vous captiver, vous inciter à la détente.

Mais ça ne marchait pas sur Anya. Bien au contraire. Ils l’agaçaient plus que tout.

Le garçon fantôme l’avait escortée – fichu gamin qui avait pris le contrôle de son corps ! – dans cette cellule vide et affreuse. Il l’y avait abandonnée et elle avait attendu, seule, un long moment, écumant de rage et se désolant pour Gideon qu’elle entendait hurler. On le torturait. Pauvre Tromperie… Elle s’était sentie coupable de lui avoir envoyé ce coup de pied dans le ventre. Elle s’était aussi inquiétée de savoir s’il avait parlé.

— Alors, beauté, tu n’as rien à répondre ?

— Tu me fais marrer, voilà ce que j’ai à te répondre.

Ils avaient commis l’erreur de ne pas l’attacher. Le garçon fantôme se tenait près de Galen et lui servait de garde du corps, bien entendu. Mais ils n’allaient pas tarder à se rendre compte que cela ne suffisait pas. Maintenant qu’elle ne se trouvait plus dans la pièce enchantée, elle sentait ses forces revenir peu à peu. Bientôt, ils sauraient qu’elle pouvait devenir un cauchemar vivant. Et de plus d’une manière.

Elle se demanda où en était Lucien. Elle détestait être séparée de lui.

Les lèvres de Galen esquissèrent une moue moqueuse.

— Tu es courageuse et ça me plaît. Lucien en a, de la chance. Quand je pense que ce monstre de laideur s’accouple avec une beauté telle que toi ! Ça relève du prodige.

Il parlait d’une voix étrangement calme et apaisante. Tout en lui semblait de nature à inspirer l’espoir. Il était comme la lumière qui luit au fond d’un noir tunnel. Ce qu’il ignorait, c’est qu’Anya préférait les noirs tunnels à la lumière. Avec elle, son charme n’opérait pas.

— Lucien n’est pas un monstre de laideur, protesta Anya en se mettant à marcher d’un bout à l’autre de la cellule.

Plus elle s’agiterait, et moins ses deux chiens de garde prêteraient attention à ses mouvements. Du moins l’espérait-elle.

— C’est un homme droit, aimant, passionné.

Galen pouffa.

— C’est un démon.

Elle s’arrêta net pour hausser un sourcil.

— C’est exact, dit-elle. C’est un démon. Comme toi.

— Non, protesta posément Galen en secouant la tête. Je suis un ange envoyé sur terre pour détruire le mal.

— Ha ! s’exclama-t-elle en se remettant à marcher. Rien que ça. On dirait que tu commences à croire à tes propres mensonges.

— Je ne discuterai pas de ma nature avec la catin d’un démon, répliqua sèchement Galen.

Le ton avait changé. Il n’était plus si doux ni tolérant.

— Dis-moi plutôt ce que savent les Seigneurs de l’Ombre à propos des deux objets de pouvoir qui n’ont pas été retrouvés ?

— Qui a dit qu’ils n’avaient pas été retrouvés ? ricana-t-elle, pour le provoquer.

Il y eut quelques secondes de silence.

— Tu as raison, convint-il. J’en possède un.

Le salaud… Elle se demanda s’il bluffait.

— Mais il leur en manque encore un, poursuivit-il. Et c’est pour ça qu’ils s’inquiètent et qu’ils attaquent mon lycée.

Elle leva les yeux au ciel d’un air exaspéré, mais à l’intérieur, elle n’en menait pas large.

— Tu es certain d’être capable de pardon et de pitié, ange venu du ciel ?

Il haussa les épaules.

— Tu es en vie, il me semble.

Les talons d’Anya claquèrent sur le sol de pierre.

— Si je suis en vie, c’est uniquement parce que tu projettes de te servir de moi.

Il croisa les bras sur son large torse et le tissu de sa chemise blanche se tendit sur ses biceps. Il portait aussi un pantalon blanc. Anya jugea que son déguisement manquait de finesse, mais elle ne lui donna pas son avis, car il n’en aurait sûrement pas tenu compte.

— Tu ne m’amuses plus, déesse. Je me demande si je ne devrais pas faire venir la Mort.

Elle comprit qu’il la menaçait de torturer Lucien.

— Je suis prête à te dire tout ce que tu voudras, à condition que tu fasses sortir ce gamin qui me tape sur les nerfs, murmura-t-elle.

Elle ne se sentait pas libre d’agir tant que l’enfant était là ; elle craignait de le blesser.

— Si je t’ai donné l’impression d’être un parfait idiot, tu m’en vois désolé, répondit Galen avec un petit sourire en coin. Le « gamin » reste.

Elle ne regrettait pas d’avoir tenté, mais le moment était venu de passer au plan B. Le déconcentrer, le faire sortir de ses gonds. Puisqu’elle n’osait pas aller jusqu’à lui, il fallait que ce soit lui qui vienne à elle. L’enfant n’oserait pas s’interposer, si c’était lui qui attaquait.

— Pourquoi hais-tu tellement les Seigneurs de l’Ombre ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

— La question est mal posée. Tu devrais plutôt me demander pourquoi je ne devrais pas les haïr… Ils veulent ma peau. Je suis bien obligé de me défendre.

Il ouvrit les bras, comme pour souligner une évidence.

— Jusque-là, nous avions les mains liés, nous ne pouvions pas les éliminer purement et simplement, de peur de libérer leurs démons. Les dieux m’avaient prévenu. Pas de ça, sinon j’aurais eu droit à une nouvelle malédiction.

Il eut un léger sourire.

— Mais nous avons trouvé une solution. Je saurai bientôt si le démon de la Méfiance peut se lier à la femelle que j’ai choisie pour lui. Si c’est le cas, je serai à la tête de la plus puissante armée qui ait jamais existé.

— Le grand mou qui te sert de bras droit prétend que vous cherchez des êtres faibles, pour en faire les nouveaux gardiens des démons de la boîte de Pandore.

— C’est faux ! s’exclama Galen. Cette idée est absolument ridicule !

Il niait avec trop de véhémence. Anya comprit qu’elle avait fait mouche. Son sang se glaça dans ses veines. Si les chasseurs trouvaient le moyen de capturer et de maîtriser les démons, les Seigneurs de l’Ombre n’y survivraient pas. Et Lucien allait mourir…

Elle comprit brusquement et son sang se glaça.

— Comment avez-vous retrouvé la Méfiance ? demanda-t-elle. Et comment avez-vous pu le capturer ?

Stefano avait assuré que Méfiance était entré dans un nouveau corps.

— Je ne suis pas comme Amun, répondit posément Galen. Je suis capable de garder un secret.

Il eut de nouveau l’un de ses exaspérants sourires de supériorité.

« Par tous les dieux, comme je le hais ! »

Elle tapota son menton du bout de l’ongle, d’un air rêveur. Elle devait absolument le faire sortir de ses gonds.

— Voyons, murmura-t-elle. Voyons… Si j’étais un démon lâche et jaloux cherchant à me faire passer pour un ange, et que je voulais prendre le contrôle d’un démon en liberté, qu’est-ce que je ferais… ? Je chargerais les autres du sale boulot, bien sûr… Et tiens, pourquoi pas… ? J’utiliserais des enfants.

Il lui jeta un regard méfiant. Ainsi, c’était bien ça…

Elle avait trouvé la réponse. Ces enfants nés d’un mortel et d’une immortelle possédaient le pouvoir de trouver et de capturer un esprit ou un démon voyageant dans un autre monde. Peut-être même était-ce le cas du garçon fantôme.

— Nous vous enlèverons ces enfants, dit-elle en regardant Galen droit dans les yeux. Nous vous empêcherons de les utiliser contre nous. Nous avons toujours gagné, et ce sera la même chose cette fois. De plus, nous avons une harpie dans notre camp. Tu as une idée de ce que peut faire une harpie ?

— Tu vas la boucler ? grommela Galen.

Il était tellement furieux qu’il en oubliait de surveiller son vocabulaire. Elle avait réussi à le déstabiliser. Parfait. Un homme en colère commettait des erreurs.

— Et tu sais qui est encore plus dangereux qu’une harpie ? Cronos, le roi des dieux. C’est lui qui veut ta peau. Tu le savais ?

Galen se raidit.

— Tu mens.

— Tu crois ? L’Œil qui voit tout. Cet Œil qui travaillait pour vous et qui finalement nous a rejoints, a eu une vision. Elle t’a vu en train de tenter d’assassiner Cronos. Depuis, il te recherche. J’ignore pourquoi Cronos ne se charge pas lui-même de toi, mais je suis sûre qu’il a ses raisons. En tout cas, pour avoir été sa cible à une époque, je peux te dire qu’il ne lâche pas facilement le morceau.

Plus elle en disait, plus le visage de Galen se fermait.

— Jamais je ne m’en prendrais à un Titan, dit-il.

— Tu en es sûr ? Tu n’as pourtant pas hésité à trahir tes plus proches compagnons, tes amis.

— Ils n’étaient pas mes amis ! hurla-t-il en envoyant son poing dans le mur, si violemment que les fondations en tremblèrent.

« Très bien. Continue comme ça. C’est exactement ce que je veux. »

— Dommage pour eux qu’ils ne l’aient pas compris à ce moment-là. Mais ça n’a plus d’importance, à présent. Ils te battront, comme ils t’ont battu chaque fois que tu les as défiés. C’est normal, parce qu’ils sont plus forts que toi.

Il était tellement furieux que des étincelles de colère claquaient sous sa peau.

— Ton précieux Lucien n’aurait jamais dû être désigné comme notre chef, rétorqua-t-il. Lui, capitaine de la garde d’élite de Zeus… C’était absolument grotesque.

— Donc, plutôt que de le défier loyalement, tu as préféré le convaincre d’ouvrir la boîte de Pandore, puis tu es allé le dénoncer aux dieux. Comme c’était courageux de ta part…

Il fit deux pas vers elle, puis parut se calmer et s’arrêta net, les poings serrés.

— J’ai fait ce que j’estimais devoir faire. Un bon guerrier ne recule devant rien pour obtenir la victoire. Demande à ton ami Sabin ce qu’il en pense.

« Pousse le plus loin. Dans ses derniers retranchements. Tu y es presque. »

— Peut-être, mais tu n’as pas obtenu la victoire, il me semble. Tu savais ce que projetaient Lucien et les autres, mais tu n’as pas pu les arrêter. Tu as perdu. Toi aussi tu as été maudit et tu as dû recevoir un démon, comme les autres.

Elle éclata de rire.

— Quelle humiliation !

— Ça suffit ! tonna Galen d’une voix qui n’avait plus rien d’angélique.

— Et comment comptes-tu me faire taire ? ricana-t-elle. En me frappant ? Tu n’envisages tout de même pas de me couper la langue ? Que penseraient ceux qui te suivent aveuglément, hein ? Remarque, je suis certaine qu’ils ont déjà vu bien pire. À moins que tu ne charges toujours Stefano du mauvais rôle, de façon à pouvoir jouer les anges de clémence ?

Pendant un long moment, il la fixa en silence. Il ne bougea pas et ne lui sauta pas dessus comme elle l’avait espéré. Puis, à sa grande surprise, il sourit.

— Stefano n’est pas là, et je ne me sens pas du tout un ange de clémence en ce moment. Mais ne t’inquiète pas. Ça ne fera mal que quelques secondes.

Il tira d’entre ses ailes une petite arbalète et, avant qu’elle ait eu le temps de se jeter au sol, il tira deux flèches pour la clouer au mur par les épaules.

La douleur lui brouilla la vue. Du sang coulait en cascade le long de ses bras, si chaud qu’il lui brûlait la peau. Son front et sa lèvre supérieure se couvrirent de sueur.

Elle remarqua que le jeune garçon avait pâli et que sa lèvre inférieure tremblait.

— Il serait temps, maintenant, que Lucien se joigne à notre petite fête, ricana Galen. Je veux qu’il assiste aux réjouissances dont tu seras la reine. Je vais te mettre nue, te prendre, te faire souffrir. On verra s’il sera assez fort pour m’en empêcher. Tu es d’accord pour ce petit test ?

— Si tu touches à un cheveu de Lucien, je t’arrache le cœur et je le dévore.

Il eut un rire mauvais. Elle allait le…

Un formidable tremblement ébranla alors le bâtiment. Elle se tut. Le rire de Galen s’étrangla dans sa gorge.

— On dirait que la cavalerie est là, fit remarquer Anya.

En dépit de la douleur qui lui vrillait les épaules, elle parvint à sourire.

— Je savais qu’ils viendraient à notre secours. Et je crois bien avoir mentionné une harpie, non ?

Pour la première fois, Galen posa sur elle un regard paniqué.

— Je n’ai pas dit mon dernier mot, articula-t-il enfin.

Puis il se tourna vers le jeune garçon.

— Si elle cherche à se détacher, n’interviens pas. Mais ne la laisse sortir de cette pièce sous aucun prétexte.

Le piège des ténèbres
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